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DRACULA (Netflix) : Analyse avec spoilers

Bonjour les addicts ! Aujourd’hui, on parle de la minisérie Dracula sur Netflix, d’après le roman de Bram Stoker. L’adaptation est signée Steven Moffat et Mark Gatiss, c’est-à-dire le duo déjà à l’œuvre sur Sherlock. Attention, cette analyse est totalement spoilers ! L’analyse est disponible dans cette vidéo (transcript ci-dessous).

1896. L’avocat britannique Jonathan Harker raconte à Agatha, une nonne, son histoire. Le comte Dracula l’a invité en Transylvanie. Dracula a en effet le projet de partir en Angleterre et a embauché Harker pour améliorer son anglais et sa connaissance de la culture britannique. Mais au fil des jours, Harker se sent de plus en plus mal alors que le comte semble rajeunir à vue d’oeil. Il découvre son secret : Dracula est un vampire, mais même le comte a sa nemesis, et son pire ennemi est justement la nonne Agatha, qui n’aura de cesse de le combattre.

La plupart des fans ont aimé les 2 premiers épisodes et détesté le 3e. On peut se demander pourquoi. Ça s’explique si on prend en compte 2 choses : le style des auteurs, et ce qui arrive à ton adaptation selon ce que l’on fait de l’œuvre originale.

Dracula : la même équipe que Sherlock

On sent que les créateurs de Sherlock sont derrière. On retrouve le même faste visuel qu’il y avait dans Sherlock dans Dracula. Ainsi, les gimmicks de réalisation comme l’incrustation d’SMS, les éléments informatiques à l’image, viennent de Sherlock. Aujourd’hui, c’est commun, mais à l’époque de Sherlock, c’était une innovation qu’on doit entre autres au réalisateur Paul McGuigan, d’ailleurs réalisateur de l’épisode 3 de Dracula. Dracula est comme une version très personnelle de The Abominable Bride, épisode concept de Sherlock qui se déroule autant au XIXe siècle qu’en 2010. Le timejump à la fin de l’épisode 2 de Dracula a la même fonction. Que Dracula fasse penser un peu, par son raffinement pervers, à Moriarty, n’est pas anodin. Mais surtout, Dracula est un jeu sur les genres.

Le 1er épisode de Dracula, le plus fidèle au roman de Stoker, est totalement dans le genre horrifique/fantastique. Et c’est un genre où Steven Moffat est très fort. Moffat a percé dans le milieu par sa prodigieuse adaptation de Dr. Jekyll & Mr. Hyde de Stevenson, avec 6 épisodes très concentrés en terreur, en suspense. D’ailleurs, toute la séquence de l’épisode 3 où Dracula est piégé dans la fondation Harker rappelle pas mal l’épisode où Hyde est emprisonné par une entreprise obscure. Le château-labyrinthe de Dracula rappelle également d’autres grandes œuvres fantastiques, comme la bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, ou encore Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, avec sa fameuse grande bibliothèque cachée. Et bien sûr, elle fait penser à Heaven Sent, l’un des plus incroyables épisodes de Dr. Who écrit par Moffat. Et l’hommage ne s’arrête pas là. La scène où Harker se rend compte qu’il a écrit des litanies répétitives à la gloire de Dracula, est un clin d’oeil à la fameuse scène de la machine à écrire dans Shining.

Moffat et les personnages féminins

La féminisation du personnage de Van Helsing est notable. Vu que les séries féminines commencent de plus en plus à émerger, un réflexe est de prendre un modèle masculin de série et d’en faire une version féminine. Pour le coup, Dracula va plus loin que la série Van Helsing qui met en scène une descendante du grand chasseur : dans Dracula, non seulement, on a affaire à la descendante de Van Helsing, mais le perso original est aussi féminisé. Alors, on reproche pas mal à Moffat de ne pas savoir écrire des persos féminins. Du coup, Agatha, je pense que c’était un peu sa réponse face aux attaques. Alors, on pourrait faire une vidéo complète sur les personnages féminins de Moffat. Ma conclusion à moi, ce serait que Steven Moffat n’est pas doué pour écrire des personnages féminins complexes. Mais, il sait écrire des personnages féminins efficaces. Agatha Van Helsing, est l’une de ses plus belles créations. Mais, il lui arrive de se laisser un peu aller à ses fantasmes d’homme et de les projeter sur ses héroïnes. Et c’est typiquement ce qui va arriver à Lucy dans l’épisode 3.

On rit aussi pas mal devant Dracula. Le mix de Dracula entre narration virtuose, twists fracassants, et punchlines qui tuent vient de la série de Steven Moffat, Six Sexy. Et dont une série comme How I Met Your Mother reprendra les mêmes effets.

La technique de Mark Gatiss

Mais je parle de Moffat, et j’oublie de parler de Mark Gatiss, le co-créateur de Dracula. Mark Gatiss est un très bon scénariste, qui est surtout doué dans trois genres : l’historique, le policier, l’horreur. Et la patte de Gatiss se voit beaucoup dans l’épisode 2 de Dracula, partie de cluedo façon Columbo sur un navire. Là, Mark Gatiss est en terrain connu, puisqu’il a signé plusieurs épisodes historiques de Doctor Who. Il a surtout écrit pour la série Hercule Poirot, série phare en matière de cluedo policier. D’ailleurs, s’il y a un épisode de Doctor Who où le Docteur rend visite à Agatha Christie, ce n’est sans doute pas un hasard. Le huis clos horrifique, Mark Gatiss le connaît bien aussi. Il avait déjà écrit Crooked House, une bonne minisérie d’horreur sur une maison hantée, (par le même réalisateur que cet épisode 2).

Avant d’aborder l’épisode 3, résumons : dans les 2 premiers épisodes, l’essence horrifique du roman original est maintenue. Et Moffat et Gatiss sont sur des genres où ils sont plutôt à l’aise. Alors que s’est-il passé dans l’épisode 3 ?

Quand l’essence du livre n’est plus respectée

Est-ce que vous avez été rivé à l’écran pendant les 2 premiers épisodes ? Il y a de fortes chances que oui. Alors, pourquoi le temps vous a paru long durant l’épisode 3 ? Parce que Moffat et Gatiss ont tout simplement oublié à ce moment l’essence originale du roman. Il n’y a plus du tout d’horreur, plus de plan machiavélique. L’essence horrifique du roman n’est plus là. Mais du coup, ce n’est plus une adaptation, c’est un scénario original. Même dans une adaptation libre, le respect de l’essence du roman original est demandé. On peut comme dans le film Orgueil et Préjugés et Zombies mettre des zombies dans une adaptation d’Orgueil et Préjugés. Le respect de la satire sociale qui fait le sel du roman d’Austen y est quand même préservé. Le respect de l’essence originale du roman est indispensable à une adaptation, même libre, sauf en cas de parodie. Mais le Dracula de Netflix n’est pas une parodie, c’est une adaptation très premier degré. Du coup, le parti pris ne fonctionne pas.

Dans les 2 premiers épisodes de Dracula, le style survolté de Moffat-Gatiss se greffe à une essence originale, la transforme, la transcende même. L’essence supprimée, ne demeure que le style, mais du style qui ne s’appuie sur rien. La belle forme, l’un des meilleurs réalisateurs anglais à la barre, l’hommage au Cauchemar de Dracula, grand film de la Hammer… ne servent à rien sans le fond.

Ensuite, il y a le genre. Pourquoi les 2ers épisodes de Dracula marchent bien ? Parce qu’ils s’appuient sur des genres que les auteurs connaissent bien. Mais l’épisode 3 est celui de la romance, moitié romcom, moitié gros drama, genre dont Moffat et Gatiss maîtrisent moins bien les codes. Mais le pire problème de cet épisode est sans doute Lucy.

Lucy : fossoyeuse de Dracula

Sans dimension, ni intérêt, Lucy relève du cliché de la cool girl. Ce cliché de la cool girl tel que se l’imaginent les mecs, Gillian Flynn l’a tronçonné en 712 parties depuis Gone Girl. C’est un cliché qui n’a aucune réalité, qui transforme les persos féminins en gros fantasmes sexistes de mec. D’habitude, je défends les persos féminins de Moffat. Je défends Irene, je défends Eurus, je défends Bill, je défends Lynda Day de Press Gang, qui est peut-être son meilleur personnage féminin. Mais Lucy est indéfendable. Pourtant, on peut créer des personnages de cool girl intéressants, notamment si on montre leur côté pas reluisant derrière. Broad City. Du coup, on se demande pourquoi cette femme constitue le but final de Dracula ? Alors que le vampire est censé se nourrir que de victimes intelligentes, qui ont une certaine classe, soit tout l’opposé de Lucy.

A la fin, Dracula déclare l’avoir choisie parce que c’est « la première qui m’ait offert ses veines ». Son genre serait donc les petites nanas soumises, sexy, avec la bouche en coeur ? Dans le scénario, ça n’a tout simplement aucun sens ! Lorsqu’on a goûté au sang d’une femme comme Agatha, une femme prodigieusement intelligente, goûter le sang d’une tarte comme Lucy est un véritable déclassement. Non seulement Lucy est désastreusement écrite, mais même son lien avec Dracula n’a pas de sens. Et l’on est navré pour Lydia West, qui a crevé l’écran en 2019 dans Years and Years, et qui se retrouve dans un rôle totalement débile. Et vu que l’épisode 3 de Dracula se centre tout entier sur elle, l’épisode s’effondre.

Bury your black, your gays, your black gays

Il y a aussi d’autres problèmes. Une blogueuse pour qui j’ai une grande estime m’a fait remarquer que les personnages noirs et LGBT+ étaient assez mal traités dans Dracula. C’est certes un problème qui date du début de l’ère des séries – le trope du « bury your gays » est assez connu – mais on se dit qu’en 2020, Dracula pouvait faire mieux que ça. Dracula ne sera hélas pas le nouveau Sherlock ni le nouveau Jekyll.

Clément Diaz
Docteur en binge-watching. Je parle séries comme je respire. De I Love Lucy à Twilight Zone en passant par Le Prisonnier et Kaamelott, je regarde, j'analyse, je critique, je décortique. Parfois, je dors.
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