Les épisodes muets de série
Les épisodes muets de série sont un sujet passionnant. Depuis 1927 et Le Chanteur de Jazz, le cinéma est parlant. Les dialogues, le son, sont si pratiques pour raconter une histoire que les films et séries muettes, aujourd’hui, sont fort rares. Mais il arrive que des séries parlantes aient de temps à autre inséré un épisode partiellement ou totalement muet. Plusieurs raisons poussent une série à proposer un épisode muet. On peut en compter 5. On vous dit tout dans cette vidéo (transcript ci-dessous)
Transcript :
Le tour de force virtuose
Parfois, on n’a pas envie de se justifier. On veut faire un épisode muet parce qu’on veut faire un épisode muet. Ce fut longtemps l’unique raison d’en faire un.
Il y a eu un coup d’éclat quasi simultané en 1960 avec 2 séries : d’abord 77 Sunset Strip, populaire série policière de l’époque qui propose une enquête d’1h sans dialogue. C’est gratuit mais intense. Puis du côté de La Quatrième Dimension, le scénariste Richard Matheson, à qui on doit entre autres Duel et Je suis une légende, raconte dans l’épisode « The Invaders », l’attaque d’une femme isolée par des envahisseurs miniatures mais mortels. En se privant des dialogues, il nous prive de tout repère rassurant, et force notre plongée dans la terrible épreuve de son héroïne, jusqu’à un twist final renversant.
Mais après le double coup d’éclat, les diffuseurs vont devenir frileux, et n’oseront plus avant longtemps produire un épisode muet, de peur de perdre les spectateurs. Le statu quo a duré 30 ans.
La révolution Space 2063
Il faudra attendre 1995 pour que 2 anciens scénaristes d’X-Files, Glen Morgan et James Wong, arrachent à la Fox le droit de diffuser un épisode muet pour leur série de SF Space 2063. Glen Morgan l’a expliqué : il a grandi avec des films muets, et en tant que scénariste, il sait qu’une histoire se raconte avant tout par l’image, pas par le dialogue. D’où son pari avec James Wong de faire un épisode quasi muet.
Avec Qui pilote les oiseaux ? Morgan et Wong se hissent à la hauteur de La Quatrième Dimension. Pas seulement à cause de la mission suicide du lieutenant Cooper Hawkes. Les auteurs se payent également des scènes-chocs comme des traumatismes surgis du passé de leur héros, une hallucination sur une séduisante mais létale incarnation de la Mort elle-même, et une brillante maîtrise de symboles. Par exemple, ces oiseaux symbolisant tour à tour une liberté perdue, une solitude horrible, et la beauté d’un monde perverti par la guerre. Cet épisode totalement, fou, incroyable, va inspirer toute une génération d’auteurs dont un certain Joss Whedon.
C’est en utilisant les mêmes armes que Charlie Brooker livrera en 2016, Metalhead, épisode de son anthologie Black Mirror très inspirée par La Quatrième Dimension. On y suit de même une héroïne traquée par des créatures quasi indestructibles. Il y a aussi plusieurs épisodes de séries animées qui sont muets. Ce serait trop long de tous les citer, mais on peut noter Escapism, un épisode de Steven Universe où le héros projette à distance son esprit dans le corps d’une créature muette appelée Watermelon.
Les épisodes muets ratés
Pour terminer cette catégorie, il faut malheureusement dire que un épisode muet, c’est malheureusement pas gage de qualité. C’est le cas du 1er épisode muet de l’histoire des séries, The Incredible Jewel Robbery, un épisode de l’anthologie General Electric. Dans cette comédie muette, les Marx Brothers préparent puis réalisent un casse… qui bien entendu foire. Et c’est pas bon. C’est vraiment pas bon. J’adore les Marx Brothers, ils ont été dans les meilleures comédies des années 30, mais cet épisode concentre le pire de leurs derniers films : lent, le manque d’action, plus de gags ratés que de réussis. Mais il existe un autre semi-ratage assez instructif :
Il s’agit d’Unspoken, un épisode de la dernière saison des Experts : Manhattan, série ultra dialoguée… et c’est aussi un échec. Car contrairement aux autres épisodes muets, Unspoken n’est pas un épisode spécial. C’est vraiment un épisode-type de la série, ni meilleur ni pire. Du coup, le côté muet n’est pas virtuose, il fait même très gadget. C’est ce que je reproche à Unspoken : le silence ne sert à rien, l’épisode n’a pas même pas l’excuse d’être virtuose. En plus, Unspoken n’est muet que pendant ses 21 premières minutes, avant de repasser au parlant, sans justification. Alors que Many Happy Returns, un épisode de la série Le Prisonnier, gère beaucoup mieux ce virage muet-parlant. Puisqu’il est réalisé quand le héros termine son errance en pays sauvage, et est revenu vers la civilisation.
Unspoken montre bien le statut particulier de l’épisode muet : ce ne peut pas être un épisode comme un autre. Ce doit être un épisode spécial.
Les épisodes muets et l’hommage au cinéma muet
Mine de rien, 30 ans de cinéma muet, c’est beaucoup. Et les films muets font partie de la culture américaine : le burlesque de Chaplin, les fresques de Griffiths, les péplums de Cecil B. DeMille… ont forgé le cinéma américain. Alors, en plein parlant, pourquoi ne pas rendre hommage aux films muets ?
Un parfait exemple est Il était une fois, un des rares épisodes comiques de La Quatrième Dimension. Le guest de cet épisode est Buster Keaton, génie du burlesque muet qui vit sa carrière brisée par l’arrivée du parlant. Les scènes de 1890 sont recréées selon le style des 1ers films muets, avec un grain d’image, une BO au piano, des gags visuels et des poursuites par un policier têtu.
Et comment ne pas citer A Quiet Night In, 2e épisode de l’anthologie Inside No. 9 où 2 cambrioleurs débiles tentent de voler une peinture chez un mec riche ? Ici, l’on a une actualisation des canons de films muets. On retrouve le burlesque, les persos quiches, la quête vaine de la fortune, mais c’est modernisé avec de l’humour très très noir et pas mal de gore, Comme si Chaplin rencontrait Les Frères Coen.
Mais ce sont davantage les séries animées qui vont proposer ce genre d’épisode, comme l’épisode « Ragamuffins » des Animaniacs.
Le chef d’oeuvre de « Un Toit pour trois »
Mais le chef-d’oeuvre du genre, c’est bizarrement dans une sitcom pas très connue qui s’appelle Un Toit pour trois. Oui, une sitcom. J’sais pas si vous réalisez, mais s’il y a bien un genre qu’on ne peut pas imaginer sans dialogue, c’est la sitcom. Vous imaginez Friends sans punchline, sans dialogue, sans réplique culte ? Eh bien, Un toit pour trois, qui voyait d’ailleurs les débuts de Ryan Reynolds et Nathan Fillion, a réussi un tour de force dans un épisode « The One without Dialogue », oui le titre fait très Friends.
Gags slapstick avec des plaisanteries dignes de Laurel & Hardy, crêpage de chignon, poursuites endiablées, chutes spectaculaires, animaux semant le bordel… le scénariste Vince Calandra invoque et maîtrise toutes les ressources de l’humour, sauf le langage.
Les épisodes muets : la révolution Buffy
S’il y a un épisode qui a lancé la mode des épisodes muets, c’est « Qui pilote les oiseaux ? » de Space 2063. Parmi les gens que ça a inspiré, un jeune scénariste, Joss Whedon, qui aimerait bien faire la même chose. Mais il est partagé. Après tout, c’est un scénariste de comédie, il a travaillé sur Roseanne, Toy Story, la 1re série Parenthood. Et lorsqu’il créé Buffy contre les vampires, il ne fait que confirmer sa force : le dialogue. Se priver des mots, c’est se priver de son point fort. Sauf que Whedon, c’est quelqu’un qui aime prendre des risques. Il va proposer un épisode muet, qui veut nous forcer à réfléchir sur les forces et surtout les limites des mots.
Le pitch de Un silence de mort, ou Hush en VO, est connu. Des monstres, les Gentlemen, volent les voix des habitants de Sunnydale pour pouvoir leur arracher le coeur plus facilement. Privés de la parole, Buffy et ses amis vont devoir trouver un moyen de retrouver leurs voix pour détruire ces monstres.
D’entrée il y a un contraste. Dans les 15 premières minutes de Un silence de mort, le gang de Buffy, est en pleine crise de jalousie et de colère ne fait qu’envoyer des répliques méchantes, des dialogues qui font mal, pour justement blesser l’autre. Le contraste avec les 27 minutes qui suivent, muettes, est saisissant. Alors, oui le silence isole les héros et double le danger, mais c’est pourtant par ce silence que les couples de la série se retrouvent : Xander et Anya, Buffy et Riley, et surtout Willow et Tara, 2 queer dans le placard trop timides pour se déclarer, et qui utilisent le silence pour sceller leur lien.
Little America et BoJack Horseman : un discours nuancé sur le non-verbal
Dans cet épisode, Joss Whedon nous montre la supériorité du non-verbal sur le verbal. Mais il manque un peu de nuances. Parce que dans la vraie vie, le verbal est parfois nécessaire pour rompre un silence destructeur. Ainsi, dans le 4e épisode de l’anthologie Little America, l’une des meilleures séries de 2020 d’ailleurs, la française Sylviane est frustrée par la règle de silence instaurée dans la retraite spirituelle où elle participe. Ça contrarie son début de romance avec un bel américain. Ce n’est que lorsque le silence prend fin que le couple a enfin une chance de continuer… une fois qu’ils auront passé la barrière de la langue.
Mais à mon sens, l’épisode Fish Out of Water de BoJack Horseman, c’est le plus bel épisode muet sur le langage. Dans cet épisode, BoJack erre dans une cité sous-marine. Protégé par un scaphandre, il ne peut dire un mot, comme tous les autres habitants. C’est pourtant grâce au silence qu’il va se lier d’amitié avec un bébé hippocampe qui a perdu ses parents, et qu’il va ramener chez lui. Mais lorsqu’il tente de se réconcilier avec Kelsey Jannings, une réalisatrice dont il a brisé la carrière, les mots lui manquent littéralement.
Ce que nous disent les auteurs de BoJack Horseman, est que le non-verbal et le verbal sont aussi importants l’un que l’autre. Que l’un vienne à manquer au moment critique, et tout se passe mal. D’ailleurs, l’épisode se termine par un twist génial qui ne fait que confirmer cette morale très sage.
Les épisodes muets : symptome de l’incommunicabilité humaine ?
Vous avez remarqué ? Les meilleures séries sont celles où les personnages souffrent de problèmes de communication. Le stade ultime, c’est quand il ne reste plus que le silence, quand il n’y a plus de communication impossible. Là, il y a 2 épisodes qui ont surfé à merveille sur ce thème.
D’abord l’épisode Rm9sbG93ZXJz d’X-Files. Filmé comme une dystopie, cet épisode voit Mulder et Scully poursuivis par des machines domestiques devenues dingues. La démonstration se fait avec une rare force, au long de scènes où l’espace personnel se remplit de plus en plus de machines alors que notre espace social n’a jamais été plus réduit.
La palme de la non-communication revient toutefois à l’épisode 405 Method Not Allowed, de Mr. Robot. L’épisode raconte un casse numérique exécuté par le héros Elliot et sa complice Darlene. Mais Elliot et Darlene sont en pleine crise et ne se parlent plus. Alors, l’action est captivante, mais ce qui marque le plus, c’est de voir deux êtres qui s’aiment profondément, mais qui dérivent de plus en plus l’un de l’autre.
Mais quand je dis « incommunicabilité verbale », ça veut pas dire que c’est négatif. Pensez aux sourds-muets. Alors, il y a pas beaucoup de personnages sourds-muets dans les séries TV. Mais la série Switched at birth est une des rares un cast assez important de personnages sourds-muets, d’où de nombreuses scènes qui sont parlées en langue des signes américaine. Le sommet a été l’épisode Uprising, qui lui est filmé intégralement en langue des signes. C’est à ma connaissance le seul épisode de série américaine dans ce cas.
L’accident bête
Parfois, faut pas chercher plus loin. Si on a un épisode muet, c’est parfois parce que le studio a foiré la prise de son. C’est arrivé pour un épisode de Bob l’éponge : Reef Blower, l’un des tous 1ers épisodes de la série. En réalité, l’épisode avait bien des dialogues à l’origine. Sauf que le matériel audio s’est cassé et les auteurs ont perdu les dialogues de l’épisode. Du coup, les scénaristes ont dû réécrire très vite l’épisode pour qu’il marche sans dialogues.
Produire un épisode muet n’est plus si rare, mais demeure une performance difficile, qui force toujours l’admiration.