Comment fonctionne l’algorithme Netflix ? (Et pourquoi Netflix annule tes séries préférées)
Qu’est-ce qui pousse Netflix à renouveler ou à annuler une série ? On a envie de répondre l’audience, parce que c’est ce qui se fait ailleurs. Sauf que Netflix ne fonctionne pas comme ses concurrents. Et l’audience, ce n’est qu’un critère parmi d’autres tout aussi importants. Découvrez comment fonctionne l’algorithme Netflix dans cette vidéo (transcript ci-dessous)
Transcript :
L’algorithme Netflix et la Big Data
Hors les développeurs, personne ne connaît le détail de l’algorithme Netflix… mais on sait sur quoi il repose. Netflix repose tout entier sur un principe : la Big Data. Grossièrement, la Big Data consiste à accumuler des milliards de données sur les productions Netflix et leurs consommateurs. La différence entre Netflix et ses concurrents, c’est qu’il y a beaucoup de données.
Par exemple : que se passe-t-il si on clique sur pause lors d’un visionnage de Stranger Things ? Il se passe que l’utilisateur envoie une donnée à Netflix qui l’analyse tout de suite. Car tout est enregistré : l’endroit où on regarde la série, à quelle heure, sur ordi, tablette, téléphone, si l’utilisateur rembobine, speedwatch, quitte définitivement ou temporairement une série, tape une série dans la barre de recherche…Tout est envoyé à Netflix !
Et c’est traité très vite. Quand on a fini un film ou une série Netflix, la plateforme envoie immédiatement une proposition personnalisée. Tout ça, c’est grâce à la Big Data. Car pour Netflix, la Big Data, c’est une question vitale : 80 % de ce que les gens regardent proviennent de l’algorithme de recommandation. Il faut donc bien optimiser l’algorithme pour que ça marche.
Il y a plusieurs critères qui font que Netflix va renouveler ou annuler une série. Mais y en a 7 qui comptent plus que les autres. Et le 1er critère de Netflix, ce sont les microclusters.
Les microclusters : dans le cerveau des abonnés Netflix
C’est un terme un peu barbare, mais en fait, assez simple à comprendre. C’est la vice-présidente de la programmation originale de Netflix, Cindy Holland, qui en a parlé dans une interview. Les microclusters fonctionnent en 3 étapes,
1re étape : Netflix produit un nouveau contenu. Avant de le diffuser, les pontes vont d’abord faire des modèles de projection pour voir quel public, combien de public Netflix pense que ça va attirer. Chaque nouveau contenu appartient à plusieurs modèles.
2e étape : on regarde les autres contenus Netflix qui tombent dans les mêmes modèles que le nouveau contenu à promouvoir. Qu’est-ce qu’on obtient ? Un nouveau contenu ajouté à plusieurs chaînes de contenus similaires. Ce qu’Holland appelle des « verticales ».
3e étape : Entrent en scène les fameux microclusters. En fait, ce sont tout simplement les différentes habitudes d’un abonné Netflix. Ça peut être les genres qu’il préfère regarder, s’il regarde en week-end ou en journée, etc. Et en fait, Netflix a pas moins de 2000 microclusters différents ! Du coup, plus la nouvelle série va atteindre des microclusters, ou bien va se concentrer sur des microclusters majeurs, qui sont plus importants que les autres, plus elle aura des chances d’être renouvelée. Prenons l’exemple de Black Mirror :
D’après Olivia de Carlo, directrice des stratégies produit Netflix, la très populaire Black Mirror cartonne dans les clusters n° 56 et 290. Ce sont deux clusters majeurs pour Netflix. Du coup, toute série ou film qui tombe dans les clusters 56 et 290 fera partie d’une verticale comprenant Black Mirror. C’est ce qui est arrivée pour une série comme The OA. C’est en partie grâce à Black Mirror que The OA a été « dopée » sur la plateforme, et a eu sa deuxième saison.
Donc pour qu’une série soit renouvelée, elle doit cartonner dans certains microclusters. Ainsi, ce n’est pas seulement la quantité de public, mais la qualité du public, divisée en 2000 catégories, qui est importante pour Netflix.
Comment l’algorithme Netflix gère ses nouveaux abonnés
Netflix reçoit des nouveaux abonnés chaque jour. Ce qui intéresse les pontes de Netflix, c’est de savoir quelles sont les premières séries qu’ils et elles regardent. En effet, les nouveaux abonnés envoient ainsi à Netflix leur intérêt pour des séries qui les motivent d’entrée. Si parmi ces premières séries, il y a des productions originales Netflix, eh bien ça veut dire qu’une série originale Netflix est suffisamment attirante pour ramener de nouveaux abonnés. Vu que Netflix propose un mois gratuit, une nouvelle série a donc un mois pour convaincre de nouveaux abonnés.
C’est ce qui est arrivé pour Stranger Things, d’où ses renouvellements joués d’avance. A l’inverse, The OA fait partie de ces nouvelles séries qui n’ont pas réussi à attirer de nouveaux abonnés Netflix. C’est la vraie cause de son annulation en saison 2, davantage que le nombre de spectateurs.
28 jours pour survivre
Dans notre période de « Peak TV », un grand, voire trop nombre de séries télé sont produites.
Du coup, une nouvelle série a une durée de vie très brève, puisqu’il y a toujours de nouveaux contenus qui sortent. Pire, contrairement aux chaînes traditionnelles qui sortent un épisode par semaine, Netflix sort toute la saison d’un coup. Et donc, elle n’a pas la possibilité de bénéficier du bouche-à-oreille. Au moins, dans des séries NBC ou HBO qui sortent un épisode par semaine, le public a le temps de se constituer. Il peut arriver à partir du 3e épisode, du 4e épisode, et donc augmenter, comme cela se fait souvent. Netflix n’a pas cette possibilité.
Voilà le calcul de Netflix : « Si une nouvelle saison de série n’est pas binge-watchée en 28 jours, alors la série ne vaut pas la peine, et elle est annulée. »
C’est ce qui est arrivé à Everything Sucks ! Série ado célébrée par le public, la critique, culte aujourd’hui, mais annulée après 1 seule saison. Cindy Holland l’a confirmé dans une interview de la journaliste Laura Prudom pour IGN. En fait, beaucoup de gens ont regardé Everything Sucks ! Elle n’a pas eu de problèmes d’audience. Mais pas assez de fans ont binge-watché toute la saison en un mois. D’où son annulation.
L’algorithme Netflix et la rétention
La rétention désigne l’outil qui mesure si le public reste suffisamment longtemps devant son écran.
Rappelez-vous : Tout ce que nous faisons, cliquer sur pause, rembobiner, accélérer, quitter la série… est pris en compte par Netflix. Ainsi, faire pause ou accélérer trop souvent, ce sont des actions qui indiquent à Netflix que l’utilisateur s’emmerde. Si les autres spectateurs s’arrêtent au même moment : un rebondissement idiot, un acteur à la ramasse, un dialogue interminable… Netflix va tout de suite voir le pattern : cette série ne doit pas valoir la peine.
Comment le taux de rebond influence l’algorithme Netflix
Encore une fois, le terme est simple à comprendre. Si l’on termine une série et que l’on enchaîne sur une autre, on améliore ce qu’on appelle « le taux de rebond« . S’il y a une série originale Netflix que beaucoup de gens voient après une autre, donc qui améliore le taux de rebond, Netflix le prend en compte et elle sera certainement renouvelée. Exemple fictif : si après The Crown, les gens matent Feel Good, petite série indépendante qui a rien à voir, Netflix va de plus en plus proposer en recommandation Feel Good aux spectateurs de The Crown. Et si les gens cliquent de plus en plus sur Feel Good, elle sera sans doute renouvelée, parce qu’elle optimise une verticale.
Et Netflix a pensé à tout : d’après le journaliste Derrick Harris, du site gigaom, l’algorithme prend aussi en compte les biais de popularité. Par exemple, quand tout le monde regarde la dernière saison de La Casa de Papel en même temps, l’algorithme prend moins en compte La Casa de Papel quand il s’agit de conseiller une série. Sinon, Netflix ne proposerait « que » La Casa de Papel pendant une semaine.
Les deals avec les boîtes de production
Les deals ont le pouvoir d’annuler une série en pleine gloire. Imaginez : tout est parfait, la rétention, la qualité de l’audience, les microclusters… tout marche ! Pourtant, il suffit qu’il y ait une boîte de production qui flanche, pour que la série s’effondre et soit annulée. Prenons l’exemple de Shadowhunters.
Shadowhunters n’est pas une série Netflix, c’est une série Freeform, mais Freeform est une petite plateforme. Donc pour financer la série, elle a demandé de l’aide à Constantin Film, une boîte qui a un deal avec Netflix. Grâce au deal, Netflix a co-financé Shadowhunters, en échange de pouvoir, elle aussi la diffuser. Le problème est qu’à la fin de la saison 3, Constantin Film a perdu son deal avec Netflix. Du coup, Netflix a retiré son financement. Privée de l’aide de Netflix, Shadowhunters a été annulée faute de financement. Et encore, Shadowhunters a eu la chance de s’offrir in extremis un double épisode final. Beaucoup de séries n’ont pas eu cette chance.
La règle des 3 saisons
Ce scoop qui nous vient du journal de The Information. C’est un scoop qui a malheureusement été confirmé par beaucoup de créateurs de séries originales Netflix : la règle des 3 saisons. Dans l’industrie des séries américaines, la tradition veut qu’au bout de 2 saisons, les showrunners demandent une augmentation de salaire. Pas seulement pour eux, mais aussi pour l’équipe technique, les acteurs, etc. Car travailler sur une série, c’est épuisant. Du coup, l’équipe souhaite une augmentation de salaire pour récompenser leur dur labeur et leur fidélité. C’est normal. Sauf que ce n’est pas aussi normal pour Netflix. Netflix a tellement de shows à produire, et est déjà tellement endettée, que les pontes reculent à l’idée de monter le budget. C’est pour ça que beaucoup de séries Netflix originales se terminent au bout de 2 saisons.
Quand il y a une 3e saison, c’est en fait un test : Netflix pense qu’il y a une sérieuse possibilité qu’il y ait plus d’abonné(e)s qui regardent la série après la diffusion de la saison 3. Si c’est le cas : super ! Ils pourront continuer à la financer avec un plus gros budget… sauf que la plupart du temps, la série ne gagne pas plus de spectateurs, ou pas assez pour justifier le coût selon Netflix. Et voilà comment Santa Clarita Diet ou One Day at a Time ont été annulées par Netflix : à cause du budget qui monte. C’est la raison derrière laquelle il y a très peu de séries originales Netflix qui ont 4 saisons ou plus tout court.
La philosophie de l’algorithme Netflix
Alors, on peut critiquer la Big Data, le côté vie privée, protection des données personnelles… ça en prend vachement un coup, ouais. Et je pense que d’ailleurs, la philosophie Netflix n’a jamais été aussi bien résumé que par Ted Sarandos, son directeur des programmes : « Une série Netflix, ça n’existe pas. Le mot-d’ordre de notre marque, c’est « expérience personnalisée ».