UNBELIEVABLE : ÉCOUTONS LES VICTIMES (sans spoilers)
Unbelievable, minisérie Netflix basée sur des faits réels, est bien plus qu’une série policière. Elle est une exploration sans fard du calvaire des victimes de viol et d’une police souvent incompétente. Démontant tous les clichés sur le viol, Unbelievable est une série nécessaire, en plus d’être très bien produite. Le Binge Doctor vous en parle dans cette vidéo garantie sans spoilers (Transcript ci-dessous).
Transcript :
En France, une femme majeure est violée ou subit une tentative de viol toutes les 5 minutes, contre 30 minutes pour un homme. Le nombre tombe à 1 minute 30 aux Etats-Unis. Seulement 2 femmes américaines sur 5 déclarent un viol à la police, contre 1 femme sur 10 en France. Seulement 1 violeur sur 100 en France est condamné. Aux States, c’est 1 sur 200.
Et le ressenti des victimes ? Presque toutes les séries policières l’oublient. Presque toutes, sauf une.
D’après des faits réels
Unbelievable est une minisérie policière américaine en 8 épisodes de 50 minutes. Elle a été créée par Susannah Grant, Michael Chabon et Ayelet Waldman, d’après un article de T. Christian Miller et Ken Armstrong. Et elle est disponible en intégralité sur Netflix.
Unbelievable raconte deux histoires parallèles mais liées. D’un côté, Marie Adler, une adolescente violée par un homme masqué, se heurte à une police et à des proches qui ne la croient pas. En plus d’être déboutée par la police, sa vie devient un enfer. D’un autre côté, 3 ans plus tard, les détectives Grace Rasmussen et Karen Duvall traquent un violeur en série qu’on devine être celui de Marie. Une enquête épuisante, souvent stérile, mais il en faut plus pour les décourager.
Unbelieveable : une série policière plus réaliste
J’aime beaucoup New York Unité Spéciale, la série policière spécialisée dans les crimes sexuels. D’autant plus qu’Olivia Benson et son obstination sans faille ont sans doute inspiré les détectives d’Unbelievable. Toutefois, un point m’a souvent gêné, c’est que les crimes sexuels sont traités de la même manière que les meurtres. Or, les crimes sexuels sont les plus durs à élucider, surtout parce qu’il y a des manques de preuves. C’est difficile de prouver qu’un viol a eu lieu. D’ailleurs, selon un rapport de la NSVRC, le National Sexual Violence Resource Center, les affaires de viol coûtent aux États-Unis 127 milliards de dollars/an, presque le double des affaires de meurtre.
Et le 1er mérite d’Unbelievable, c’est d’avoir parfaitement décrit cela. L’enquête de Rasmussen et Duvall, elle est interminable, très souvent stérile. Pendant 4 épisodes et demi, elles ne progressent pas, elles n’ont quasiment aucun résultat convaincant à se mettre sous la dent.
Des points communs avec Mindhunter
Et là pour le coup, Unbelievable m’a pas mal rappelé une autre enquête de série dont on a pas mal parlé cette année, qui est l’enquête de la saison 2 de Mindhunter. Comme dans Mindhunter, on voit des détectives qui poussent leurs limites, subissent longtemps un surplace, des criminels qui – terrible ironie – apprennent de la police même comment couvrir leurs traces, c’est ce qu’on a appelé « Le syndrome Les Experts« . On a aussi une police souvent dépassée, et des victimes qui s’accumulent. Les deux affaires, de Mindhunter et de Unbelievable, sont d’ailleurs tirées de faits réels. Après, l’enquête d’Unbelievable elle-même, elle est pas très originale, hein. Mais c’est dur d’être original dans un genre aussi codifié que la série policière. Du coup, le plus sûr moyen de se démarquer, c’est de créer des personnages qui vont marquer, qui sont vraiment originaux. Et la force d’Unbelievable, c’est ce duo de femmes qui ont une puissance, une insistance.
Unbelievable : un point de vue féminin
Comme Unbelievable consacre 80 % de son temps à l’enquête, c’est avant tout une série policière, et même sans le brio visuel de Mindhunter. D’ailleurs, Unbelievable est très proche dans son déroulement de Manhunt, une minisérie policière britannique qui date du début de l’année 2019, et qui ne se démarquait pas vraiment. Mais Unbelievable a un atout de taille : un point de vue féminin. En effet, Unbelievable est principalement écrite, réalisée et produite par des femmes. Et ça se voit à l’écran, ça se voit dans le portrait des deux détectives, qui sont vraiment assez complexes, qui ont beaucoup d’épaisseur, au caractère bien trempé mais aussi sensibles. Il y a une justesse, un équilibre dans ces portraits qu’on ne trouve pas facilement ailleurs. Ça, je pense qu’on le doit à la réalisatrice des 1ers épisodes, Lisa Cholodenko, qui est connue pour ses portraits de femmes naturalistes, comme dans The Slap, Here and now, et surtout Olive Kitteridge, une excellente minisérie sur une héroïne très complexe.
L’autre force d’Unbelievable, c’est d’avoir accordé une place au calvaire de la 1ère victime, qui est jouée par la jeune Kaitlyn Dever. D’ailleurs, il faut le souligner, elle fait une interprétation remarquable. En somme, Unbelievable fait à la série policière ce que Les Accusés a fait au film judiciaire, apporter la thématique du viol du point de vue de la victime. Dans Les Accusés, le personnage de Jodie Foster cherchait à convaincre les forces de l’ordre et de la justice de la véracité de son viol, à une époque où on prenait encore moins en compte la parole des femmes qu’aujourd’hui.
De l’importance de la gestion des victimes par la police
Le point de vue des victimes de viol est l’objet surtout des premiers épisodes, où on a affaire à une gestion différente du crime par les policiers. Le 1er épisode montre la gestion calamiteuse du viol de Marie. On voit Marie faire 5 fois de suite sa déclaration dans les moindres détails à des personnes distantes. Il y a un décalage terrible entre une Marie qui a besoin d’empathie et des visages froids, des descriptions cliniques de ce qu’on lui demande. Ensuite ça dévisse.
Déjà, il y a le fléau n°1 des affaires de viol, c’est le manque d’éléments. Le pire, ce sont les mères adoptives de Marie qui ont des doutes carrément sur sa sincérité. Elles instillent ça chez les policiers. Et les policiers finissent par faire pression sur Marie pour qu’elle change son histoire, et qu’elle avoue que le crime n’a jamais eu lieu. Du coup, c’est ce qui se passe, Marie craque, elle est labellisée menteuse compulsive. Elle suit une descente aux enfers.
Le 2e épisode sert de comparaison avec le 1er : 3 ans plus tard, Amber, une autre adolescente, est violée. Et là tout est différent. Surtout Karen Duvall ne va pas faire comme ses collègues masculins, elle va vraiment être en empathie, elle va même être pédagogue envers Amber, elle va même la préparer mentalement aux questions et aux examens à venir, chose que Marie n’a jamais eue.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir la différence de mise en scène : Marie est filmée avec un montage incisif, en plongée et contre-plongée, pour bien montrer son isolement, sa solitude, avec une photo aux couleurs froides. A l’inverse, Amber est filmée en plan rapproché ou mi-moyen, et les couleurs de la photo sont plus chaudes, le montage plus calme.
Unbelievable brise les clichés sur le viol
Et on remarque aussi qu’Amber n’a pas un physique dans les canons hollywoodiens. Et l’une des victimes du violeur, Doris Laird, est une femme de 65 ans. Unbelievable nous rappelle ainsi que l’âge, le physique, n’est pas important pour les violeurs. Après son viol, Marie a un comportement un peu déroutant, vu qu’il ne correspond pas à l’idée qu’on se fait d’une réaction de victime de viol. Et là, Unbelievable nous martèle un point-clé : que toute victime de viol a sa propre manière de réagir, de gérer l’événement. Et ça, ne pas le comprendre, c’est nuire gravement à la victime.
Une originalité d’Unbelievable, c’est qu’elle met les victimes au 1er plan plutôt que les coupables. C’est vrai, le violeur de la série, on le voit à peine, avec seulement en point d’orgue, une scène qui fait très Mindhunter. Mais pour le reste, on a affaire à plusieurs profils de victimes. Ça va de l’auto-destructrice à la grande gueule en passant par l’angoissée.
Finalement, la raison d’être de Unbelievable c’est qu’elle nous exhorte à écouter la parole de ceux et celles qui portent plainte, de faire comme un safe space où leur parole est prise en compte. Alors OK, il y a l’épouvantail des fausses accusations, on les estime entre 2 et 10 % aux Etats-Unis, mais ça veut dire que 90 à 98 % sont véritables. D’autant que Unbelievable nous a bien montré qu’il est aisé pour des policiers bornés de forcer une victime à changer son récit. Et du coup de faire passer une vraie accusation pour une fausse. Écoutons les personnes qui portent plainte. Écoutons-les car elles ont besoin d’empathie, à court et à long terme.
Une série rude mais nécessaire
Les seuls petits reproches que je ferais à la série, c’est quelques forfanteries de mise en scène. Voilà, le cliffhanger du 1er épisode qui est pas vraiment utile. Ou bien la présentation un peu lourde de Grace Rasmussen, ou bien « l’éternel-événement-du-passé-qui-a-changé-la-vie-de-Karen-à-jamais-et-l’a-poussée-à-être-obstinée-dans-son-job », un vieux cliché quoi.
Voilà, mais à part ça, regardez Unbelievable, c’est une série très bien écrite, très bien réalisée, très bien interprétée. C’est une série qui est rude, mais nécessaire.