PLAN COEUR : 20 ANS DE RETARD ? (sans spoilers)
Plan Coeur se présente sur Netflix comme une comédie romantique de notre époque. Mais est-ce vraiment le cas ? On tente d’y répondre avec une critique vidéo sans spoilers de la série (transcript ci-dessous) :
Transcript :
Vous prenez Sex and the City, vous enlevez l’humour, les répliques spirituelles, les bonnes actrices et New York. Qu’est-ce qui reste ? Plan coeur.
Plan coeur : c’est compliqué
Plan coeur vient de sortir sa saison 2 sur Netflix. Plan Coeur est une comédie romantique française, créée par Noemie Saglio et Julien Teisserre d’après une idée originale de Chris Lang. Elle contient 2 saisons, 14 épisodes de 30 minutes. Et donc dispo sur Netflix.
Pour rappel, Plan coeur racontait l’histoire de trois amies trentenaires Elsa, Charlotte et Émilie. Après une rupture difficile, Elsa est déprimée. Heureusement, elle rencontre le beau Jules qui la courtise avidement. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que Jules est un prostitué, payé par ses amies pour lui donner un peu de réconfort. A la fin de la saison 1, elle apprend tout, envoie tout valser. Cela malgré un Jules tombé amoureux entretemps, et qui a même arrêté la prostitution pour elle.
Les premières secondes de la saison 2 nous rassurent. Elsa est finalement en couple avec Jules, mais son manque de confiance en elle menace de faire capoter son couple. Pire, elle doit maintenant côtoyer son ex dans un cadre pro. Pendant ce temps, Charlotte tente de lancer Pinkars, une appli qui permet aux femmes de commander des Uber conduits par des femmes. Et Émilie et Antoine commencent à goûter les joies d’être parents. Traduction, ils en chient à mort.
La saison 2 de Plan coeur a les mêmes qualités et les mêmes défauts que la saison 1 : sur la forme, c’est moderne, sur le fond, c’est terriblement daté.
Plan coeur : une romcom vraiment moderne ?
J’adore les romcom, surtout quand elles n’essaient pas d’être autre chose qu’un divertissement sucré. On peut avoir des romcom qui passent aux rayons X les comportements humains, mais c’est rare. Elles ont connu leur heure de gloire dans les années 90 et 2000. Mais à l’orée des années 2010, l’heure n’est plus à la romcom.
Aujourd’hui le public semble vouloir des relations plus réalistes, moins glamour, plus proche de nous. Comme le public série est en grande partie des millennials ou des Y, le genre doit montrer en 2019 un côté plus moderne, branché, actuel. D’où le succès de séries comme Girls ou Insecure, qui ont l’ambition de porter un regard contemporain sur la romcom.
Quand j’ai regardé Plan coeur, j’ai compris que c’était son ambition. Les créateurs l’ont d’ailleurs confirmé en interview. On sent à chaque épisode la volonté d’un ton romcom modernisé. A l’image de la chanson-phare de la série qui est un remix techno de Ta Katie t’a quitté, une chanson de Bobby Lapointe qui date des années 60.
Plan coeur nous parle de thèmes modernes : la prostitution masculine et, dans la saison 2, des problèmes que ça implique dans la vie privée. Puisque Elsa a du mal à assumer le gros passé sexuel de Jules. Plan coeur développe aussi avec le personnage de Maxime tout une charge sur l’ego masculin, aussi fragile qu’une paire de couilles. Monter sa propre start-up basée sur une appli, chercher des partenariats, des financements, c’est quelque chose de très actuel, c’est un des sujets de l’hilarante série Silicon Valley. Enfin, Plan coeur, en plus d’un casting incluant des acteurs non-blancs, développe des couples hétéros avec des femmes très indépendantes, très affirmées.
Des défauts mineurs
Mais le problème, c’est que Plan coeur en saison 2 commet les mêmes erreurs que la saison 1. On commence par les moins graves : Les dialogues sont surécrits, les personnages parlent pour dire ce qu’ils ressentent, tout est mâché, rabâché, expliqué. Tous les événements qu’on voit dans Plan Coeur, les quiproquos, les mensonges, le mariage, les fiestas, on a déjà vu tout ça. Et ce serait pas grave si c’était drôle ou raconté d’une manière un peu originale, et c’est pas le cas. C’est dommage, parce que c’est quand elle sort de la romcom que Plan coeur trouve un peu d’âme. Il y a une très belle scène de rupture dans la saison 2, qui est déconnectée de l’intrigue romcom, et qui sonne très juste.
Ensuite, à part un bref troisième rôle de gay dans un épisode de la saison 2, les LGBT sont absents. Bon, c’est dommage, on pouvait attendre mieux, surtout à l’heure de séries comme The Bold Type qui jouent sur le même terrain que Plan Coeur. Et là, j’en arrive à ce qui est pour moi l’erreur fatale de Plan Coeur :
Plan coeur : une série déjà datée
Plan coeur est une série déjà datée. C’est une série des années 90 produite 20 ans trop tard. Plan coeur est une série centrée sur des femmes épanouies dans l’espace public et qui dans la vie privée pédalent dans la Paëlla. Charlotte a bien des soucis avec sa start-up, mais on y passe finalement peu de temps. En plus, ça se résout avec une bonne grosse ficelle dans le finale. Plan coeur présente des femmes à l’aise dans le public et pas dans le privé. Vous voyez le problème ? Ce schéma existe depuis 1970 et The Mary Tyler Moore Show, et s’est terminé en 2004 avec la fin de Sex and the City. Le côté insupportable d’Elsa rappelle d’ailleurs pas mal la Carrie des dernières saisons de Sex and the City. En moins drôle. Sa névrose émotionnelle est calquée sur Ally McBeal, en moins drôle aussi.
Comme le dit justement Céline Morin dans « Les héroïnes de séries télévisées », le féminisme libéral qui animait ces séries 90’s a cédé la place à un féminisme plus radical. Notamment par un dialogue entre les sphères privée et publique, qui cohabitent, qui ne sont plus séparées. Dans Plan coeur, on revient 20 ans en arrière. Dans Sex and the city qui restait sur le côté privé, on avait tout de même des observations qui révélaient la nature complexe des personnages. Même Darren Star, le créateur de Sex and the city s’est adapté. Pour cette raison, sa dernière série Younger reprend le côté Sex and the city pour la vie privée, mais une large part est dédiée au côté publique et pro.
Des personnages trop fades
Mais là, c’est la 2e grosse erreur fatale de Plan Coeur : Emilie, Charlotte et Elsa n’ont rien de complexe. Ce sont des personnages simples pour ne pas dire simplets. Tout est sacrifié à l’action, au vaudeville, aux mensonges qui s’accumulent en nombre délirant dans cette saison. Et l’action ne révèle ici rien des personnages. C’est du pur vaudeville à la Feydeau, mais délavé, plat.
Pour cette raison, je dis que Plan Coeur a compris les enjeux de notre époque, c’est une qualité, je dois la souligner. Mais son écriture anachronique la propulse 20 ans en arrière en plus d’un humour assez faible.