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LUNA NERA (Netflix) : le pouvoir des cinq

Une histoire de sorcières

Si je vous dis une série de fantasy italienne avec des sorcières, une romance Harlequin, et un duel final façon Dragon Ball Z avec des FX tout moches. Ça vous fait envie ? Ben, c’est grosso modo le pitch de Luna Nera.

Luna Nera se déroule dans l’Italie du XVIIe siècle. La jeune Ade est accusée de sorcellerie lorsqu’elle prédit un événement. Avec son jeune frère Valente, elle fuit les milices anti-sorcière et les fanatiques religieux. En effet, l’Inquisition brûle vif toute femme accusée de sorcellerie. Recueillie par un groupe de sorcières dirigée par la charismatique Tebe, Ade va apprendre à maîtriser ses pouvoirs. Ainsi, elle mènera à bien sa mission : libérer ses sœurs sorcières. La situation se complique quand elle tombe amoureuse de Pietro, fils d’un grand chasseur de sorcières qui ne jure que par la science.

Luna Nera : une métaphore féministe

Au premier abord, j’ai envie de défendre Luna Nera pour son message, pour sa production. C’est une des rares séries qui a été entièrement écrite et réalisée par des femmes. Alors, c’est un fait qui commence à se populariser, c’était déjà le cas de Harlots, par exemple. Mais le meilleur exemple est Russian Doll, l’une des meilleures séries de 2019. Luna Nera est intéressante parce qu’elle file la métaphore sorcellerie-féminisme pendant 6 épisodes. La démarche de Luna Nera est très proche de celle de True Blood. Puisque dans cette série, les vampires sont en fait des métaphores des minorités en général : sexuelles, raciales, de genre, etc.

La culture populaire a souvent exploité les figures de sorcières du Moyen-Âge et de la Renaissance. Que ce soit la série Salem et ses fameux procès ou d’une manière plus comique Monty Python Sacré Graal. Ces œuvres nous ont rappelé une vérité historique. C’est que la chasse aux sorcières, c’était avant tout un prétexte misogyne. Et Luna Nera ne nous épargne rien sur le traitement réservé à ces femmes.

Comme Mona Chollet le rappelle dans son best-seller « Sorcières, la puissance invaincue des femmes » , « Les persécutions visent surtout les femmes qui ne se soumettent pas au modèle familial classique ». En effet, à l’époque de la série, des femmes trop indépendantes, célibataires, lesbiennes, enfin bref, celles qui cochaient les cases du bingo « j’emmerde le patriarcat », étaient les victimes préférées de l’Inquisition pour finir sur le bûcher.

Sorcières d’hier, sorcières d’aujourd’hui

Au XXe siècle, les féministes ont décidé de se réapproprier le terme sorcière. Pour cela, elles se sont d’abord appuyées sur les écrits de Gerald Gardner, fondateur de la religion wiccane dans les années 40. Cette religion est abordée notamment dans American Horror Story. Gardner a théorisé cette religion dans son grand-oeuvre : Le Livre des Ombres. On retrouve ce livre dans beaucoup d’oeuvres qui parlent de sorcières, comme Charmed où c’est carrément ce livre qui donne aux sœurs Halliwell leur pouvoir. Et comme dans Charmed, les sorcières plus jeunes de Luna Nera doivent apprendre à contrôler leurs pouvoirs. Dans Luna Nera, il y a aussi un livre des Ombres. Et d’ailleurs le titre signifie « lune noire », symbole de mort dans la religion wiccane.

Il n’est pas rare d’entendre les féministes d’aujourd’hui se proclamer sorcières, participer à des rituels, en fait réhabiliter la figure de la sorcière. En fait, Luna Nera, c’est un safe space. Car un safe space, c’est un espace où toute une classe opprimée, les femmes ici, peuvent parler entre elles, se soutenir. Tout cela se faisant loin du regard des hommes. Ce safe space est aussi celui de la production puisqu’il n’y a que des scénaristes et réalisatrices femmes dans ce projet.

Si les 3 créatrices ont fait de Tebe, la leader, une lesbienne, ce n’est pas non plus anodin. Monique Wittig, notamment dans son livre « La pensée Straight » avait déclaré que les lesbiennes doivent être à l’avant-poste du féminisme politique.

Luna Nera a la main lourde

Mais ça s’arrête là, parce que, sinon, Luna Nera a la main lourde quand il s’agit de filer la métaphore. Plus on avance dans la série, plus métaphores et dialogues deviennent grossiers. Tant qu’à faire un lien entre autonomie d’une femme et sorcellerie, on reviendra avec plaisir à Willow dans Buffy contre les vampires. Mais si on cherche une série plus récente, A Discovery of Witches fera l’affaire.

Mais ce qui perd la série, c’est définitivement l’histoire. Si le combat entre science, foi et sorcellerie est en soi répétitif, la série est surtout polluée par une romance à l’eau de rose version Harlequin. Rendez-vous secrets près d’une fontaine, baisers passionnés, amour interdit, haine mortelle entre les sorcières et le père de Pietro, passion, trahison, rejets, réconciliations, haines… Luna Nera est du sous-sous-sous-sous Roméo et Juliette. La série est très loin du romantisme fin d’une série comme Roswell ou même plus proche de nous, Outlander.

Et comme si c’était pas suffisant, Luna Nera achève sa saison 1 sur la pire erreur de scénariste. Soit un deus ex machina. C’est-à-dire un événement pas préparé, qui surgit de nulle part, et qui change toute l’issue du dernier épisode. Non seulement, l’idée est foireuse, mais c’est réalisé, monté et post-produit avec les pieds. Vous vous rappelez les effets spéciaux un peu foireux des films des années 80-90 ? Eh bien, la série ne fait pas vraiment mieux.

On zap ou on mat ?

Alors on zap ou on mat ? Clairement, on zap. Oui, le message est génial, mais il est supérieur à la série. En définitive, Luna Nera ne raconte pas grand-chose.

Clément Diaz
Docteur en binge-watching. Je parle séries comme je respire. De I Love Lucy à Twilight Zone en passant par Le Prisonnier et Kaamelott, je regarde, j'analyse, je critique, je décortique. Parfois, je dors.
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